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Œuvre du mois - C.L.Cabaillot-Lassalle

Luxe, calme et volupté en version bourgeoise du 19e siècle


 


Camille Léopold Cabaillot-Lassalle (1839-1888)
Lecture dans le boudoir, 1874
Huile sur bois
47 x 31 cm
AM 1179
Legs de Mme Lucette Bertrand, 2017

Ce tableau est la première œuvre de l’artiste français dans nos collections où elle complète une série d’autres portraits bourgeois. 

Cabaillot-Lassalle est fortement inspiré par le milieu social dans lequel il vit, par la mode élégante et élaborée de la Belle-Époque sous le Second Empire. Il se spécialise dans les scènes de genre d’intérieurs, représentant des jeunes femmes bourgeoises et leur progéniture à leurs activités domestiques. Il participe de 1864 à 1889 au Salon de Paris, l’un des rendez-vous les plus à la mode du calendrier social européen, un haut-lieu du « voir et être vu » et une source d’inspiration visuelle pour Cabaillot-Lassalle.

Ces représentations d’intérieurs raffinés, à la fois intimistes et mondaines, sont extrêmement populaires dans la seconde moitié du 19e siècle en Europe et aux États-Unis. Des portraits individuels ou de famille sont commandés par la haute société, la Belle Époque correspondant à l’âge d’or de la bourgeoisie, une période relativement paisible et stable entre les grandes nations européennes et de multiples innovations dans le domaine de l’industrie et de la technologie apportant une amélioration supplémentaire du niveau de vie de la haute société.

Mais il s’agit bien ici d’une peinture de genre, Cabaillot-Lassalle n’est pas un portraitiste d’individus : une figure adroitement campée dans le triangle d’une robe d’un gracieux drapé clair sur fond sombre, un radieux profil et un jeu de mains fines, le sujet se voit décidément subordonné à la couleur et aux contours, l’émotion découle ainsi de la forme et non l’inverse. Nous sommes en face du portrait d’une robe, d’une somptueuse masse d’étoffe et de broderie. Le sujet est la Femme comme générique et non un naturel féminin – son modèle est un mannequin fixe et figé dont l’artiste se sert avant tout pour le déploiement de ses savantes variations sur les féminités historiées. Ce style est l’héritier des maîtres hollandais du 17e siècle, dont Vermeer est le plus talentueux représentant par ses sous-entendus narratifs. Les collections du Musée des Beaux-Arts comptent toute une série d’artistes qui poursuivent cette tradition au 19e siècle, dont Jean-François Portaels, Florent Willems, Joseph Stallaert et surtout Alfred Stevens. 

L’œuvre de Cabaillot-Lassalle est en relation étroite avec celui de son contemporain belge Stevens, le plus grand peintre à succès de la bourgeoisie parisienne. Si les textures des tissus sont d’un caractère plus modeste chez Cabaillot-Lassalle, décrits avec moins de subtilité et de détails, on retrouve néanmoins cette même attention accordée au rendu des mains, l’opulence de l’intérieur représenté, l’atmosphère de luxe exprimée par les tapisseries, meubles et vêtements. 

La Lecture dans le boudoir a une petite sœur, car Cabaillot-Lassalle l’a reproduite dans une autre peinture de la même année, intitulée Dans son boudoir, appartenant à l’ancienne collection Bernheimer, vendue en novembre 2015 chez Sotheby’s à Londres. Figure de style, le tableau dans le tableau est un motif à valeur emblématique apprécié chez les artistes. Petit jeu facétieux de Cabaillot-Lassalle, un clin d’œil du peintre à sa propre gloire, sous forme d’une répétition sans vergogne d’une même idée.

Malgré le succès du genre, la répétition d’atmosphères Belle-Époque idéalisées et rencontre aussi des critiques, notamment dans la revue du Salon 1874 par Ernest Duvergier de Hauranne : « La peinture de genre est surabondante, et s’épuise par cette surabondance même [...] Ce n’est pas le talent ni l’esprit qui manquent, ce sont les idées, non pas les idées nouvelles, mais les idées sincères, sérieuses, originales par cela même, les idées échauffées par une passion vraie et pensées par celui qui les exprime ». Entre raffinement du clair-obscur et la grâce luxueuse, l’enlisement dans les fanfreluches et les excès de mièvrerie de la mode, Cabaillot-Lassalle marche donc sur la corde raide. Le ressenti d’impasse, d’un manque de renouvellement artistique, est adressé cette même année 1874 lors d’une exposition montée en réaction au Salon officiel et aux choix conservateurs de son jury, qui a lieu dans l'ancien studio du photographe Nadar et où Claude Monet présente son tableau Impression, soleil levant.

Cabaillot-LassaleStevens

Camille Léopold Cabaillot-Lassalle                                Alfred Stevens
Dans son boudoir, 1874                                                 Le repos de l’enfant
Huile sur bois                                                                 Huile sur bois
56 x 39 cm                                                                     80 x 54 cm
Ancienne collection Bernheimer                                    Collection du Musée des Beaux-Arts de Liège

 

Carmen Genten - Conservatrice au Grand Curtius