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Oeuvre du mois - Simon Hantaï

Simon Hantaï : quand pliage et dépliage font l’œuvre d’art


 

Simon Hantaï
Sans titre (série des Aquarelles), 1971
Aquarelle sur toile
58 cm de diamètre
Inv. BA.AMC.23a.1978.000778
Acquise par la Ville de Liège à la galerie Vega en 1978


 

Cette œuvre sur toile, volontairement sans titre, fait partie d’une série intitulée Aquarelles, et a été réalisée en 1971. Elle est caractéristique de la singulière complexité du travail de l’artiste français d’origine hongroise Simon Hantaï (1922-2008).

Renonçant à sa Hongrie natale, placée sous la dépendance politique de l‘Union soviétique et des contraintes artistiques du réalisme socialiste, Simon Hantaï s’installe à Paris dès le début des années 50. Il fréquente galeries et musées, découvre les « drippings » de Jackson Pollock, et expérimente de multiples techniques artistiques, telles que le grattage, le collage, la peinture au pochoir. Il se lie avec des peintres de l’école de New York, Sam Francis, Jean-Paul Riopelle, Joan Mitchell, et rencontre le groupe surréaliste français. André Breton, le premier, l’expose à la galerie L’Etoile scellée en 1953. Il s’éloigne toutefois des surréalistes, et, sous l’influence de Pollock et du peintre français Georges Mathieu, réalise alors des toiles à la gestualité virtuose, entremêlant signes, figures libres, écritures, citations.

En 1960, toutefois, Hantaï abandonne ce registre pictural pour développer une nouvelle méthode de travail, plus systématique, celle du pliage et dépliage de la toile, dont témoigne cette œuvre réalisée en 1971.

La toile, au préalable blanchie d’un enduit, est soigneusement froissée puis pliée. Les parties visibles sont ensuite peintes de couleurs vives ou nuancées : huile, acrylique, ou aquarelle. Une fois dépliée et tendue, apparaissent alors les parties brutes, non peintes, neutres ou blanches, sur la toile. Chaque œuvre, par le contraste établi avec la blancheur de la toile initiale, apporte son lot de surprises. Par l’interaction entre les formes abstraites, les unes volontaires, les autres surgies de l’aléatoire, Hantaï entend laisser libre cours à l’indétermination et au hasard, tout en voulant minimiser et dépersonnaliser l’acte de peindre.

Pour l’artiste, les œuvres doivent vivre par elles-mêmes, subir les assauts du temps, de la lumière, sans protection particulière, et même sans châssis. Il ira jusqu’à en enterrer dans son jardin, avant de les ressortir et les exposer telles quelles, maculées de poussières et de déchets organiques.

Hantaï développe une conception radicale de l’art, qui dans les années 1980 le conduira à se mettre en retrait de la peinture, et à revendiquer son écart par rapport au milieu artistique. S’il assure ne pas vouloir maîtriser ses interventions picturales, qui portent les traces d’une empreinte extrême-orientale autant que celle du « all-over » américain, Hantaï aboutit, grâce ou malgré lui, à des résultats toujours fascinants. Même lorsqu’il utilise plusieurs couleurs ou une seule, chaque peinture

obtenue est unique, mais fait indéniablement partie d’un même cycle de création, qui naît du mode de pliage et de froissage.

En souvenir de ses découvertes de jeunesse en Italie, Hantaï reprend en 1971 la forme ronde du tondo utilisé par les maîtres de la Renaissance. Ces Aquarelles (titre de la série), présentées à la galerie Jean Fournier à Paris, sont accueillies à Liège par la galerie Vega de Manette Repriels, à l’automne 1975. L’œuvre acquise par le Musée des Beaux-Arts de Liège en 1978, quoique de dimension modeste, offre un magnifique exemple de la démarche du peintre. Froissage très serré, petits éclats de couleurs, violet, parme, bleu, ocre, et déploiement aérien des formes blanches, qui évoquent des ailes d’oiseau : il émane de cette œuvre une aura de lumière sensible, souveraine, à laquelle il est difficile de ne pas céder avec ravissement.

Alain Delaunois

Attaché scientifique

La Boverie – Musée des Beaux-Arts